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La personne souffrant de troubles mentaux peut-elle être condamnée pénalement ?

Dernière mise à jour : 15 avr. 2021

Le 19 décembre 2019, la Cour d’appel de Paris a déclaré Kobili Traoré pénalement irresponsable du meurtre de Sarah Halimi.


L'accusé n'a pas été condamné puisque la juridiction a considéré qu'il avait agi alors qu'il était pris d'une « bouffée délirante ».


Cette décision vivement contestée a fait l'objet d'un pourvoi en cassation, et la Cour de cassation vient de rendre sa décision [Cass. crim., 14 avril 2021, n° 20-80.135, FS-P+I].


Les faits et la procédure.


Rappelons les circonstances dans lesquelles Kobili Traoré a été interpellé et poursuivi.


Le 4 avril 2017, la police est intervenue au domicile de la famille X à la suite d'un appel téléphonique indiquant que cette famille était victime d'une séquestration.


Après avoir forcé la porte, les policiers ont découvert le corps sans vie d'une femme, et ont trouvé M. T en train de réciter des versets du Coran, avant de l'interpeller.


Il a été mis en examen des chefs d'homicide volontaire et d'arrestation, enlèvement, détention ou séquestration.


Les juridictions d'instruction ont considéré qu'il n'y avait pas lieu à renvoyer l'affaire devant une juridiction de jugement, estimant que M. T. se trouvait atteint d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits, de sorte que son discernement était entièrement aboli et qu'il devait être déclaré irresponsable pénalement.


Les parties civiles ont contesté ce positionnement devant la Cour de cassation, en faisant valoir notamment que le code pénal ne prévoit l'irresponsabilité pénale que d'une personne atteinte « d'un trouble psychique ou neuro-psychique », et non d'une personne ayant fait usage de stupéfiants puisque que la consommation de stupéfiants n'est pas une maladie mentale, et que l'acte volontaire de consommation de stupéfiants, prohibé par l'article L. 3421-1 du code de la santé publique, est constitutif d'un comportement fautif qui exclut l'irresponsabilité.


En l'occurrence, la bouffée délirante aiguë, dont a été pris Monsieur T, a été entrainée par la consommation récemment accrue de cannabis.


La Cour de cassation a rappelé dans sa décision quel a été le raisonnement de la juridiction d'instruction.


Cette dernière a d'abord jugé qu'il existait effectivement des charges suffisantes à l'encontre de Monsieur T, lequel avait bien commis les faits qui lui étaient reprochés, au regard notamment des "déclarations de M. T, disant qu'il s'était senti plus oppressé après avoir vu la torah et le chandelier, et qu'il pensait que le démon était Mme H, jointes aux témoignages indiquant l'avoir entendu crier « Allah Akbar, c'est le sheitan, je vais la tuer », puis « j'ai tué le sheitan » et « j' ai tué un démon », et aux constatations des experts selon lesquelles la connaissance du judaïsme de Mme H. a conduit la personne mise en examen à associer la victime au diable, et a joué un rôle déclencheur dans le déchaînement de violence contre celle-ci."


Elle a ensuite approuvé les juridictions d'instruction d'avoir déclaré M. T pénalement irresponsable, en se référant aux conclusions expertales.


En effet, deux "collèges d'experts ont estimé que la bouffée délirante s'est avérée inaugurale d'une psychose chronique, probablement schizophrénique et que ce trouble psychotique bref a aboli son discernement, que l'augmentation toute relative de la prise de cannabis s'est faite pour apaiser son angoisse et son insomnie, prodromes probables de son délire, ce qui n'a fait qu'aggraver le processus psychotique déjà amorcé" et "qu'au moment des faits son libre arbitre était nul et qu'il n'avait jamais présenté de tels troubles antérieurement."


L'arrêt de la Cour de cassation poursuit en ces termes :


"Les juges ajoutent que la circonstance que cette bouffée délirante soit d'origine exotoxique et due à la consommation régulière de cannabis, ne fait pas obstacle à ce que soit reconnue l'existence d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, puisqu'aucun élément du dossier d'information n'indique que la consommation de cannabis par l'intéressé ait été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiants puisse entraîner une telle manifestation", de sorte qu' "il n'existe donc pas de doute sur l'existence, chez M. T., au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes."


La Cour de cassation a conclu de la manière suivante :


"La chambre de l'instruction a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a déclaré, d'une part, qu'il existait à l'encontre de M. T. des charges d'avoir commis les faits reprochés, d'autre part, qu'il était irresponsable pénalement en raison d'un trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits."


Elle rappelle en effet que "les dispositions de l'article 122-1, alinéa 1er, du code pénal, ne distinguent pas selon l'origine du trouble psychique ayant conduit à l'abolition de ce discernement."


Ainsi, en droit français, il est possible qu'une personne ait commis des faits répréhensibles pénalement, et qu'elle ne soit pas déclarée coupable ni condamnée pour de tels faits, si son discernement a été aboli.


Explications : le droit.


En la matière, c'est l'article 122-1 du Code pénal qui s'applique. Il prévoit que la personne souffrant d'un trouble mental peut, à certaines conditions, ne pas être condamnée pénalement ou être condamnée moins lourdement.


C'est notamment le cas lorsque l'auteur d'une infraction a vu son discernement aboli ou altéré au moment où il a commis l'infraction.


L'article 122-1 du Code pénal dispose: "N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes."


Ainsi, cette personne ayant agi sous l'empire d'un trouble ayant totalement aboli son discernement ne pourra pas être condamnée pénalement, mais elle demeurera tenue d'indemniser le préjudice subi par la victime (article 1240 du Code civil - article 414-3 du Code civil).


Concernant la personne dont le discernement était seulement altéré, elle demeure punissable mais la juridiction doit tenir compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine.


L'article 122-1 alinéa 2 dispose en effet : "La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime. Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, est ramenée à trente ans. La juridiction peut toutefois, par une décision spécialement motivée en matière correctionnelle, décider de ne pas appliquer cette diminution de peine. Lorsque, après avis médical, la juridiction considère que la nature du trouble le justifie, elle s'assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l'objet de soins adaptés à son état."


Cette altération ou abolition du discernement est appréciée dans chaque dossier par un Expert psychiatre dont le rapport est souvent déterminant.



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